En ce début d’année, la Philharmonie des 2 mondes fait entrer la lumière dans l’obscurité hivernale. Vivaldi, Bach, Dvorak, chassent les ombres et l’archet se mue en baguette magique pour apporter de la clarté le temps d’un concert et un peu plus…
Plein feux sur les solistes de la Philharmonie
Pour la première fois, les solistes du jour sont tous issus de la Philharmonie. Un choix porté par le chef d’orchestre Philippe Hui qui témoigne de la confiance qu’il place en ses musiciens. Un exercice, une reconnaissance, un défi pour la plupart d’entre eux, un peu fébriles à l’idée de se mesurer à leurs collègues et au public. Ce maillage si fort qui lie les musiciens habituellement prend effectivement une autre configuration aujourd’hui. “L’idée n’est pas de jouer une suite de notes mais de jouer ensemble” assure pourtant Pierre-Yves Denis, soliste (violon), à ses collègues.
Voguer dans les lumières narratives de Vivaldi
Sur scène l’accastillage est prêt, les pupitres attendent leurs solistes. Les 4 musiciens arrivent sur le pont, calent leur violon sur l’épaule et envoient la première salve de notes. L’assaut ne tarde pas à répliquer du côté de l’orchestre. Il faut voir sur scène ces 4 solistes se mouvoir. Les pieds ancrés au sol, ils ont pourtant l’énergie et la fougue des combattants. Les muscles du cou se tendent, semblent se hisser, les bras font des embardées agitées comme une voile malmenée par des vents contraires, le regard est déterminé, le corps se délie pour donner plus d’ardeur aux mains. La partition a beau être la même, leur attitude diffère : Laurie Bourgeois esquisse quelques sourires, Corinne Massé affiche une sérénité peut-être feinte, Léo Coley paraît faussement tanguer sous les coups d’archet, Pierre-Yves Denis vogue sur le flow. L’allégresse portée par cette composition de Vivaldi apporte de la gaieté. Les notes virevoltent sur une vague ample, fougueuse mais pas menaçante, l’optimisme est de mise.
Le concerto pour 2 violoncelles en sol mineur de Vivaldi met en exergue ce jour-là, Pauline Quefellec et Stéphane Oster. La sonorité de l’instrument évoque davantage une déferlante de vagues. Le son grave ondoie sur les cordes, lui donne de la profondeur, de l’envergure. Le reste de l’orchestre tente de battre la houle pour éviter l’avarie. Mais ici bien sûr, la dualité, la confrontation, sont seulement scénographiques, il faut de l’emphase et de l’entente entre tous les musiciens pour jouer de concert. L’altérité se doit d’être harmonieuse, pacifique, le pavillon immaculé. À chaque mesure, l’allure s’amplifie, le gréement égraine ses notes comme on sèmerait des passions aux quatre vents.
Bach nous chavire
Dans ce concerto pour violon et hautbois en ré mineur, Sophie Delbende (hautbois) et Pierre-Yves Denis (violon) distillent des notes rondes, presque enrobées. L’instrument à vent donne de la langueur, tire la note. Le rythme est délicat, gracieux, plein de lyrisme. Mais le reste de l’orchestre insuffle, comme le vent arrière qui gonfle une voile, une force vive à l’oeuvre.
La sérénade de Dvorak, croisière sur le fil
La sérénade jouit d’une réputation parfois un peu mièvre, “arrête ta sérénade”, puisque dans l’imaginaire populaire, c’est surtout une composition jouée en soirée sous les fenêtres de l’être aimé. Mais ici Juliette et Roméo s’en sortent, “pas de fiole de cyanure, n’en déplaise à Shakespeare” ! C’est une douce mélopée, une croisière sur une mer placide le soir, à la lumière du soleil couchant. Les derniers rais de lumières scintillent à la surface de l’eau, la coque du bateau fendant ces clapotis. Les musiciens de l’orchestre jouent enfin tous ensemble, réunis comme les étoiles d’une constellation qui illuminent un ciel d’encre.
Cap sur les Lumières
En préambule, Philippe Hui a expliqué que le Siècle des Lumières est un moment historique d’émancipation de l’Homme. “L’histoire de la musique n’est pas indifférente au monde qui l’entoure et le concerto avec l’émancipation des solistes est en quelque sorte une métaphore de ce qui traverse le corps social”, conclut-il. Philippe Hui, capitaine du bateau lyre, a une fois de plus mené son équipage à bon port. Après le concert nous débarquons sur la terre ferme, l’étincelle qui sommeille en chacun de nous s’est muée en flamme. L’occasion de méditer sur une pensée d’une des figures des Lumières, Denis Diderot: “les beautés ont dans les arts le même fondement que les vérités dans la philosophie”.