En ce premier jour d’octobre, la presqu’île du Croisic est voilée d’un camaïeu de gris. La fine bruine constante pousse les premiers spectateurs à se hâter à l’intérieur du gymnase. Drôle d’endroit pour un concert de musique classique, de prime abord. Les paniers de basket surplombent les pupitres, les vestiaires sont envahis de performeurs en costumes mais le tableau des scores restera vierge ce jour. Ici, la Philharmonie des 2 Mondes joue à domicile, invitée par l’association “La Calebasse” qui promeut la culture populaire sous toutes ses formes.
L’hommage
Entre les deux partenaires, la relation est ténue, presque filiale puisque c’est Joël Faou, membre de l’association, qui, le premier, a convié La Philharmonie à jouer son premier concert en 2013. Depuis lors, le rendez-vous est annuel mais pour la première fois il sonne différemment. Joël s’en est allé cet été, laissant l’association et La Philharmonie quelque peu orpheline. En amont du concert, l’émotion est palpable, et comme dans toute famille en cas de coup dur, on se serre les coudes. L’hommage de Bilal Alnemr quand il posera son violon pour prendre celui de Joël, sera le point d’orgue du recueillement : “On m’a souvent parlé de “l’homme au chapeau”, je souhaite lui rendre hommage. Il a vécu au Liban, pays dont je suis proche, je vais donc interpréter une improvisation orientale. Je ne connais pas son violon, je le découvre…”. La pluie peut bien continuer de battre au dehors, le vent souffler, nous sommes transportés sous des cieux plus cléments, loin du Croisic. Cette mélodie s’apparente à la découverte d’un pays, les prémices d’une première fois. Les cordes et nos coeurs vibrent, le charme de l’Orient opère, nous partageons une escapade. Par-delà l’océan.
Hasard des circonstances, ce concert intitulé “Par-delà les murs” est dédié à la jeunesse, à la vie en somme. Les oeuvres choisies ont été composées par de célèbres compositeurs à l’aube de leur 20 ans. On retrouve sur le programme Haydn, Mozart, Schubert et un de nos contemporains, Maias Alyamani, d’origine syrienne. De Syrie également, le violoniste virtuose Bilal Alnemr, âgé de 21 ans, interprètera deux solos. Par-delà les frontières.
LA JEUNESSE DANS TOUTE SA SPLENDEUR
Comme des sportifs que l’on attend sur le terrain, les musiciens entrent en scène, sous les applaudissements. Mathilde, violoniste, donne le “LA”, les instruments s’accordent, Philippe Hui, le chef d’orchestre fait son entrée, tel le capitaine d’une équipe prête à en découdre avec l’archet. Il présente, toujours avec humour, le programme avec pour débuter “Papa Haydn, père de la symphonie classique !”
La symphonie N°44 de Franz Joseph Haydn démarre en une mélodie fougueuse, emportée, fiévreuse. On ressent ici toute l’impétuosité de la jeunesse, l’exaltation des sentiments. Allez vite tout de suite, brûler la vie puis d’un coup calmer ses ardeurs pour un rythme plus céleste, plus posé, presque serein. Pourtant peu après, les violons s’excitent de nouveau, nous sommes embarqués sur des montagnes russes, le velours est en réalité ardent. La passion transpire de cette oeuvre, les sens semblent être en exergue, les archets des violons se lèvent côté jardin pour donner le coup de grâce. Le repos du guerrier se fait alors sentir, la mélodie devient plus ronde, plus enveloppée pour se réveler presque charmeuse. Il apparaît alors qu’après une nuit tourmentée, le réveil au petit matin est doux, latent, le son est comme alangui, la lumière transperce les volets. Par-delà l’imaginaire.
Changement de joueur, Mozart entre sur le terrain avec son concerto pour violon et orchestre N°3 en sol majeur. Là aussi, toute la vibration de la jeunesse anime les instruments. La gravité de la contrebasse est comme un parent qui sermonne la légèreté insouciante du violon. C’est vif, enlevé, le génie de la précocité s’illustre par les notes.
LE GÉNIE DE LA PRÉCOCITÉ
La précocité prend d’ailleurs toute sa dimension ce jour avec le violoniste Bilal Alnemr, un air juvénile qui se fait vite oublier quand il commence à jouer. Ce virtuose qui décroche les premiers prix comme on décoche des flèches, nous tire les larmes. Son interprétation est envoûtante et autant que la prouesse technique, c’est la façon dont il communie avec le violon qui subjugue. Les yeux fermés, le sourire aux lèvres, il semble cajoler l’instrument, les gestes sont amples, décontractés, assurés pour autant. Bilal est comme ailleurs et il nous invite à traverser le pont vers son monde. Par-delà les murs.
Bilal Alnemr est le trait d’union contemporain avec l’oeuvre qui suit, composée en 2011 par Maias Alyamani. Utilisée comme bande-son d’une série historique arabe, elle colle en effet parfaitement à l’univers cinématographique. On imagine alors un film à suspens, un espace clos et sombre dont on cherche à sortir. La mélodie est grave, profonde, ponctuée d’embardées aïgues, comme un essaim d’abeilles. Le protagoniste semble être empêtré, acculé, il frappe contre les parois, l’issue parait fatale et pourtant la délivrance arrive. La partition est écrite ici comme un scénario, on vit cette musique comme on serait au cinéma. Par-delà les arts.
Enfin, Franz Schubert est le dernier à illustrer la maturité dont sait aussi faire preuve la jeunesse. Les tourments qui lui sont propres, cèdent davantage la place à l’espoir. Un espoir composé comme l’éveil d’un printemps. La sève nourrit peu à peu les notes légères pour les faire gagner en profondeur, en tessiture. La vie reprend ses droits même si le Menuet-Allegro molto distille un peu plus de sérieux. Balayé rapidement par un Allegro Vivace qui lui tire la langue, de sa vive espièglerie. On nage néanmoins, entre deux rives, tiraillé par la jeunesse optimiste et la jeunesse en colère. La tourmente des sentiments prend corps mais n’est-ce pas cela finalement avoir 20 ans ?
Le match retour se jouera jeudi 12 octobre à 20h30, à l’Hippodrome de Pornichet, plus d’infos ICI